Fernando

Publié le par Muriel Prades

Minuit douze. J’ai toujours aimé cette heure. Ca fait vieux polar qu’on sirote, les bras engourdis,sur la plage, à lire en diagonale les cinquante dernières pages, un peu pour connaître le véritable assassin, un peu pour sauver nos bras de l’ischémie.

Minuit douze. Cette heure me marque lorsqu’elle s’affiche sur l’horloge, comme si j’attendais à chaque fois un coup du destin, le clin d’oeil de la providence qui récompenserait toutes mes heures de lecture à bouffer du narnar de seconde zone.

Minuit douze. Ce soir là, le destin est au rendez-vous. Le dieu du thriller me gratifie d’une rencontre extra-ordinaire en récompense de ma fidélité au roman noir. J’ai croisé un tueur en série, un dégommeur sans scrupules, un Jack l’Eventreur des temps modernes.

Il est minuit douze, je suis dans un bar sombre et étriqué, et je rencontre Fernando. 

 

Fernando et sa nonchalance stylée entrent dans le troquet où je traîne un peu plus tard que d’habitude, et il éclaire de son charisme solaire toute l’assistance féminine du lieu. Les regards glissent, les yeux roucoulent, les mâchoires pèsent soudain très lourd. Fernando est à la beauté masculine ce que le Bellota est au jambon: une rare et exquise perfection. Il se glisse dans la foule, avec une humilité presque timide, mais un sourire entendu. Son oeil carnassier pétille autant que son allure est touchante de discrétion. En un éclair, il a fait un rapide état de toutes les femmes du lieu, catégorisant les demoiselles selon une organisation très personnelle: «à attaquer en début de soirée», «à réserver comme deuxième chance, en cas de mauvaise pêche» et enfin «pour finir la nuit, histoire de ne pas rentrer seul».

La chasse est ouverte. Que le carnage commence.

 

Fernando papillonne avec la grâce d’un félin, de proie en proie, marquant son territoire de sourires charmeurs, de remarques drôles, de clins d’oeil complices. En une demi-heure il connaît tous les prénoms de ses potentielles cibles. Mais Fernando n’a jamais l’air d’y toucher. Il reste sagement avec ses amis, hommes, ingénu prédateur qui se défend toujours de n’être là que pour de bons moments d’amitié franche et virile. Les éventuelles rencontres du sexe opposé ne sont que purement...fortuites. 

Fortuitement, donc, il saupoudre, ça et là, son innocent sex-appeal, et attend que les victimes mordent... ce qui ne tarde pas à arriver. Un essaim de fraîches conquêtes, prêtes à croquer, lui tourne autour. Fernando temporise, il sait que son salut est assuré, pour cette nuit du moins. Mais il est un homme de challenges, et comme je fais mine de ne pas l’avoir vu, pour mieux observer son petit manège à distance, Fernando passe à l’offensive.

 

 Il manque de trébucher sur mon sac à main et se confond en excuses. Rapidement il entame une conversation drôle et légère. Il est loin du dragueur lourdingue dont on n’arrive pas à se défaire, qui enchaîne les clichés flatteurs. Fernando est subltil, il ne flatte pas, il minaude. Il me donne presque le sentiment que c’est moi qui cherche à le séduire. De temps à autre il va butiner une de celles qu’il a ferrées un peu plus tôt, histoire qu’on ne l’oublie pas, histoire d’attiser la jalousie naturelle qui sommeille au fond de chacune d’entre nous. Puis il réapparaît, avec une candeur touchante qui dit «Tu es encore là? Tu me sauves la vie, je ne savais plus comment me défaire de l’autre brune, là bas...», il deviendrait presque une victime, j’ai envie de le protéger. 

Et puis Fernando est un mec sérieux et honnête. Quand il commence à bien vous connaître, quand il sent que le piège s’est presque refermé, il vous livre ses plus grands secrets. C’est un homme franc, pas comme tous ceux qui avant lui empilent les mensonges comme les femmes collectionnent les paires de chaussures. Fernando est marié, il a des enfants. Et il le dit.

Un virtuose de la drague. Fernando est un concept. Et un concept qui cartonne. 

Elles se bousculent au portillon. Il passe son temps à jouer avec les SMS, les pokes facebookiens et les mails. Un vrai travail d’acrobate. Avec la dextérité d’un jongleur, il est capable de poursuivre une conversation avec moi, tout en répondant à trois messages et un coup de fil. 

Fernando dose ses réponses. Il fait mariner les empressées, relance timidement celles qui l’oublient, éloigne les dangereuses avec son désarmant «mais je t’avais dit ma belle, que je suis marié», sans jamais les offusquer, de peur de provoquer leur ire.

Je me demande comment sa femme n’a pu s’apercevoir de quoique ce soit. L’amour rend-il aveugle à ce point? 

 

Est-ce l’ambiance «minuit douze», aux relents de vieux roman noir qui règne dans ce sombre bar où je suis aux prises de l’Arsène Lupin de la drague, mais l’horloge bien huilée Fernando s’est grippée ce soir là.

Alors qu’il se rapprochait dangereusement de moi, et que je ne voyais plus trop comment lui échapper, je surprends son regard qui se fige au-dessus de mon épaule. Son visage, si lumineux, si détendu se crispe en une moue de terreur, tellement surprenante que je me retourne pour voir de quoi il retourne. J’entrevois dans la rue une jeune femme et un homme tendrement enlacés. Elle est magnifiquement belle et le sourire béat qui éclaire son visage en dit long sur son transport. Je détache mon regard pour revenir sur un Fernando livide qui semble frappé de paralysie. 

-Ca va Fernando, tu ne te sens pas bien?

-C’est...c’est...ma...femme, souffle-t-il en me montrant du doigt le couple enlacé dans la rue.

-Je croyais que vous étiez encore ensemble?

-Je le croyais aussi...

Le couple s’éloigne bras dessus, bras dessous. Fernando les observe depuis l’intérieur incrédule et perdu, son téléphone vibrant sans cesse de SMS et de mails qu’il ne regarde plus. Il est terrassé. Pris à son propre piège.

Je ramasse mes affaires et je rentre chez moi, pensive. Non seulement je l’ai échappée belle. Mais encore une fois, je me suis laissée surprendre par la fin du polar.C’est pour cela que j’en lis autant. Car qu’ils soient de bonne ou de mauvaise plume, bien souvent, jusqu’à la dernière page, on ignore qui est le véritable assassin.

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D
<br /> Y'a une justice en ce bas monde....;-)))<br /> <br /> <br />
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