Ambulance Drive

Publié le par Muriel Prades

 

 

Je ne sais pas si vous êtes adeptes du footing. J’en suis. Chacun a ses raisons, de l’entretien « cardio », au défouloir anti-dézingage de collègues ou de conjointes, courir apporte à chaque  « runner » son lot de bénéfices. La perfection n’étant pas de ce monde, ce sport a pourtant le gros défaut d’être lassant, surtout lorsqu’on a la bonne idée, comme moi, de toujours faire le même parcours, en tournant au carré dans un parc. Ce jour là je décide donc de varier le paysage, afin de donner un air de jamais vu à mon entrainement, et je vais courir au jardin du Luxembourg (que je connais en flânant, ce qui ne donne pas du tout le même point de vue, je précise…). Je me régalais du nouveau décor qui défilait sous mes yeux (il est vrai, cependant, que rien ne ressemble plus à un arbre dans un jardin public, qu’un autre arbre, dans un autre jardin public, mais bon…), lorsque j’aperçois au loin deux chignons bien connus, ceux de Madame Renée et de sa sœur, Bertille, affairées comme deux abeilles, à ramasser des feuilles de marronnier. Ravie de les retrouver, j’arrête ma course pour prendre de leurs nouvelles. Leur évanescence pleine de romantisme et de tendresse m’enchante à chaque fois que je les croise. Elles sont de ces personnes dont la poésie est tellement intense qu’elle vous transporte en un clin d’œil loin de votre monde et de votre quotidien. Deux chignons antidépresseurs. Elles devraient être remboursées par la sécurité sociale.

Comme la conversation se prolonge, légère, anachronique, aérienne, le soleil se couche presque, et Madame Renée propose de me raccompagner, proposition que j’accepte avec joie.

Elles me conduisent à une minuscule voiture rouge, où Bertille  tente de faire un peu de place afin que je me glisse sur le siège arrière. L’intérieur de la carriole est  habité par un fouillis baroque et attendrissant, et je trouve un petit espace entre un caddie et un parapluie rose, manquant d’écraser une demi-douzaine de madeleines dans leur sachet. Madame Renée m’ordonne d’attacher ma ceinture, j’obéis avec une pointe d’inquiétude, tant l’autorité n’est pas habituelle chez elle. Risquai-je ma vie à voyager avec les deux sœurs à chignon ? J’attends donc avec un soupçon de nervosité le démarrage du bolide…qui ne vient pas. Madame Renée tourne  pourtant frénétiquement la clé dans le compteur, tandis que sa sœur pousse des cris d’impatience, mais rien ne bouge. Même les phares de la voiture  ne s’allument pas.

-J’ai bien peur que la batterie soit à plat, tentai-je

-Vous croyez ?

-C’est ce qui arrive lorsqu’on laisse les codes allumés…

Les deux sœurs  commencent à se chamailler comme des fillettes, à s’accuser réciproquement de l’inattention qui nous cloue au parking, lorsque Madame Renée, sans prévenir s’élance brutalement en dehors de la voiture, avec l’agilité d’une perchiste. La scène se passe en une fraction de seconde, mais je comprends qu’elle essaye d’arrêter un taxi qui passe à notre hauteur, en criant « Crocos, crocos !! », afin que celui-ci dépanne notre batterie. Le taxi trahit l’individualisme qui caractérise si bien l’automobiliste  parisien et s’arrête pour nous porter secours. Madame Renée revient vers nous triomphante, avec un léger boitillement.

-Vous êtes blessée ?demandai-je

-Je crois bien que la portière de la voiture a mordu mon mollet au passage, répondit-elle en me montrant une large entaille balafrant sa jambe.

-Ma sœur il faut tout de suite appeler un médecin, crie Bertille en composant un numéro sur son téléphone.

Tandis que notre chauffeur de taxi branche tant bien que mal les pinces «crocos » sur la batterie de la voiture, Bertille prend des instructions auprès d’un médecin, peu disposé à se déplacer, semble-t-il.

   -Il faut que tu rinces la plaie à l’eau et au savon a-t-il dit

-Mais je ne peux pas quitter la voiture, ma sœur, car une fois redémarrée, le moteur doit tourner pendant au moins vingt minutes, et tu ne sais pas conduire, Bertille…

  -Je peux aller chercher ce qu’il faut, si vous voulez ?   intervins-je

Je m’élance donc à la recherche d’un Monop’ encore ouvert, afin d’acheter une bouteille d’eau minérale, du coton et un peu de savon. Comme c’est l’heure de pointe, et qu’il y a une queue interminable de jeunes cadres célibataires venus acheter leur sachet de carottes rapées pour le soir, je hurle « C’est pour une urgence médicale, s’il vous plaît ». Je fais mine de ne pas entendre le goguenard « On n’est pas à l’APHP ici », et je double toute la file sans scrupules. La caissière s’excuse de ne pas accepter la carte vitale, je règle sans lever les yeux et rejoins mes deux protégées.

S’ensuit une drôle de scène où Madame Renée qui, n’acceptant  personne d’autre qu’elle  pour conduire sa voiture, se laisse soigner une jambe dehors, tandis que de l’autre elle appuie sur l’accélérateur pour relancer la batterie. Le chauffeur de taxi qui ne comprend pas tout à l’affaire, range vite ses pinces et s’excuse d’un « Je dois y aller mes p’tites dames, j’ai du travail moi, c’est pas tout ça».

Comme le moteur doit tourner pendant vingt minutes, nous faisons ensuite  des tours dans le quartier, Bertille sous le tableau de bord, épongeant la jambe de sa sœur, tandis que Madame Renée peste sur le manque de professionnalisme des médecins de nos jours et sur le fait que les soins prodigués par sa sœur lui font d’horribles chatouilles, qui pertubent sa conduite.

Au bout d’une demi-heure, la batterie est sauvée de la panne et Madame Renée du choc hémorragique.

-Nous devrions allons aller boire un thé pour nous remettre de nos émotions, n’est-ce pas ? propose Bertille

    -Quelle bonne idée Titille!! Allons au Lutetia pour l’occasion !

  -L’hôtel ? Je ne suis pas sûre de vouloir vous accompagner, dis-je

-Vous nous vexeriez ! Pour quelle raison ne voulez-vous pas  venir avec nous ?

-Je suis en short et en tennis !Je viens juste de courir ! Ce n’est pas une tenue pour aller boire un thé au Lutetia, dis-je et puis vous devriez vous reposer, vous avez été sérieusement bléssée…

-Mais bien sûr que si c’est une tenue!! s’exclama Madame Renée. Tous les américains sont en short et en tennis là-bas…

 

A cours d’arguments je les suis donc, sautillantes et ravies, avec mon short élimé, mes « runnings » poussiéreux et mon T-Shirt « Hello Kitty »  magnifiquement auréolé sous les aisselles.

Et comme à chaque fois que je suis terriblement accoutrée, bien qu’il ne me reconnaisse jamais, lui, je tombe sur un certain Clive O., nonchalamment vautré sur un sofa moelleux, le nez dans un verre de bourbon, le sourire hollywood et le regard de braise, perdu dans ses pensées…

Et je remercie Renée, Bertille, Kitty et mes runnings, de faire qu’une fois encore, il ne m’aura pas remarquée…


 

Si vous voulez lire les premières histoires de Madame Renée et de Bertille, allez donc jeter un oeil sur  "Madame Renée " et  "Lumineuse expérience". Et pour connaître celles de ce certain Clive O., c'est "Jean-Claude" et " Folie Douce" qu'il faut lire...

 

 

 

 

Publié dans Mme Renée & Co

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