Sven

Laissez-moi vous parler de Sven.  

Sven est moniteur de surf (pour les néophytes, je parle de l’activité de Brice de Nice), une bien basse occupation (le fait d’être moniteur), qu’il est obligé d’endosser car, malheureusement, on vit dans un monde matérialiste, et qu’il faut bien payer ses factures. Heureusement, comme il se plaît à le dire, Sven adore enseigner, ce qui, redore un peu son blason de «mono». Car Sven, il est avant tout surfeur. Je suis bien obligée de donner un terme compréhensible pour décrire ce qu’est Sven, mais si par hasard il lui arrivait de me lire (ce qui ne risque pas d’arriver, Sven lit peu...), il le trouverait bien réducteur. Car on ne peut pas abréger au seul mot de surfeur, cet amour, cet état d’esprit, cette religion, qu’est la pratique du surf.. Et ça le «barbe» de devoir donner des cours de pataugeoire à des «pecnos de parigos», qui ne comprennent rien à l’océan...Triste vie matérialiste, à laquelle il ne peut se soustraire. Nous, pauvres naïfs, ne pouvons pas  le comprendre, il le répète bien assez.

Et c’est bien vrai, quel mystère incroyable auréole notre Sven, qui dans un nuage de marie-jeanne, scrute l’horizon mousseux de l’océan, en attendant cette vague que l’on ne sait pas voir. Attention, Sven n’est pas un Brice, il sait divinement surfer. Il réalise mêmes des prouesses, capables de faire glousser les dizaines de pintades qui l’admirent béatement, depuis le sable, saucissonnées dans leur bikini, enduites de monoï, telles des rôtis prêts à cuire. Ces pintades constituent le groupe de midinettes de 15 ans qui sont ses élèves, dont je suis la doyenne...amusée.

Après quelques cabrioles incroyables, il arrive héroïquement sur la plage, tel un combattant, le cheveu en bataille, l’oeil humble, presque désabusé, s’excusant de n’avoir pu faire mieux...

Sven a plusieurs cordes à son arc. C'es aussi  un grand météorologue. Il fait de grands dessins de courants d’air chauds et froids sur le sable, pour expliquer la magie de la création de la vague. Comme c’est un vrai pédagogue, on  le comprend, un peu, car la science des vagues est une science difficile, accessible qu’aux meilleurs...

Sven est aussi un amoureux de la nature, il connaît par coeur le nom tous les coquillages qui jonchent la plage, et a eu des histoires incroyables avec deux ou trois dauphins...

Sven est une étoile filante qui brille au firmament des hommes insaisissables. 

Mais Sven est un gentleman. Il parle sans cesse de sa «femme» partie en vacances, dont il est tellement love, ce qui n’est pas sans faire pester de rage mes copines de classe de la semaine. Aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est un homme sérieux. Il les taquine toutes, mais jamais il ne se baisse pour cueillir les fleurs qui se pâment à ses pieds.

A la fin de la semaine, on lui dit toutes au revoir, on s’échange nos numéros, on se promet de se donner des nouvelles.

C’est toujours fabuleux de se dire qu’on a la chance de rencontrer des gens incroyables pendant les vacances, ceux qui vous font tâter ce qu’est la vraie vie, celle qui a une âme, celle qui a du goût

Voilà ma réflexion  en pensant à la vie grise qui m’attend, balancée dans le TGV qui me ramène à Paris. Le roulis du train me rappelle celui des vagues, et nostalgique, je me traîne au bar, en espérant ne pas croiser de Bernard, cette fois-ci. C’est pas un mec comme Sven que je croiserai pendant mes voyages, Sven, il ne prend pas le TGV, d’ailleurs, il lévite...

J’aperçois au loin une blondinette que je reconnais, une des pintades monokinées, qui s’extasiait devant notre Poseidon. Elle tripote avec anxiété son mobile, puis finit par faire une grande pression sur son clavier, les yeux fermés, la moue dubitative. On dirait qu’elle envoie un SMS.

Je sens mon téléphone vibrer dans mon sac. La vie est faite de coïncidences parfois!

Je découvre trois messages de trois expéditeurs différents

«Sven tu me mank, j esper kon se revoi, 7 nuit a étai formidable. Elo»

«Sven, j t’m, rapel moi stp!»

«Sven, mon amour, je pense a toi et a ton kor de rev tou le temp , Brenda»

Le rideau tombe.

Le salaud, il avait donné mon numéro à tout son groupe d’élèves.